Ces gens-là te ressemblent, ils sont même ici à ta place et à ton intention, pour toi.
Jean Bellemin-Noël
Le lit dans ma chambre est haut. Un enfant normalement constitué doit se donner un élan, puis s’agripper à la couette pour y grimper. Moi qui suis grande, je m’appuie sur le rebord du matelas et me sers de mes bras pour me hisser vers l’oreiller. L’espace réduit de la pièce est tout entier envahi par ce meuble et par le gigantesque ventilateur qui le surplombe. Lorsqu’en été je me décide à lancer la bête pour chasser la chaleur, je risque d’être assommée rien qu’en m’assoyant sur le lit, tant matelas et pales sont rapprochés. « Dysfonction de la localisation spatiale », dit l’optométriste. Apparemment, je ne saurais pas évaluer la taille des objets avant de les voir dans l’espace.
Il n’a rien compris.
À Baie-Saint-Paul, dans le corridor qui borde les chambres de la maison familiale, cinq aquarelles, peintes par mon père, rompent la monotonie du mur blanc. Quand le soleil ne frappe pas trop fort sur la vitre qui les couvre, on y distingue autant d’interprétations de La princesse au petit pois : assise sur ses sept matelas, elle lit, dort, mange un bol de céréales, regarde le pois vert germer et s’enrouler le long du baldaquin, converse avec un dragon. Mon lit à moi fait plus d’un mètre de hauteur. Je le voulais comme dans les dessins de mon enfance. Je voulais être la princesse au petit pois : j’ai choisi le lit de la princesse au petit pois.
Il était une fois. Devenue écrivaine je comprends que tout commence là, dans la puissance évocatrice de quatre mots dont la force ne se dément pas, même si des siècles nous séparent du jour improbable où ils ont été dits la première fois. Sitôt prononcés, ils nous entraînent tous à cette époque imaginaire où le bien et le mal se divisaient en deux blocs distincts, où il n’y avait ni avant ni après, simplement cette fois, improbable, merveilleuse, où la Princesse au petit pois mangeait des céréales au sommet de ses matelas en conversant avec un dragon.
Broder sur des fantasmes[1]
Avec le grand Oscar et ses sept nains, remis en 1939 à Walt Disney pour son Snow White and the Seven Dwarfs, le mode de passation du conte a vécu un énième bouleversement : d’abord transmis à l’oral exclusivement, il s’est figé quand Perrault, Andersen et les frères Grimm l’ont consigné par écrit, mais il s’est transformé encore quand il a été fixé sur pellicule par le père de Mickey. En plus de le découvrir grâce à la voix de leurs aïeuls, les petits peuvent désormais voir l’univers de Cendrillon à travers la fenêtre de leur télévision, et c’est par elle, par le grand écran du cinéma ou celui, réduit, du iPad d’aujourd’hui, que des millions d’enfants sont introduits aux personnages atemporels qui ont séduit nos ancêtres. Je ne fais pas exception. Les princesses de ma vie n’ont pas toujours marché sur les sentiers inventés par mes parents; la plupart d’entre elles sont nées, ont grandi et se sont mariées dans des décors made in USA.
S’il peut d’abord sembler anodin, ce passage de l’oralité aux versions disneyennes des contes ne l’est pas. D’abord parce que voir réduit drastiquement la quantité des possibles imaginables (et si moi je le voulais rose avec des toitures dorées, le château de Cendrillon?). Ensuite parce que la représentation fixe des personnages prive l’enfant d’une forme d’identification que le conte narré permettait autrefois (j’en veux pour preuve cette sempiternelle discussion de petites filles : « Moi je suis Jasmine, dans Aladin. » « Impossible, tu n’as pas les cheveux noirs »). Enfin parce que la violence des contes originaux (pensons, simplement à la « Petite Sirène » qui meurt chez Andersen et se marie chez Disney) est remplacée par des happy ends qui empêchent l’enfant de libérer ses pulsions destructrices et de confronter ses peurs. Dans son essai Les contes et leurs fantasmes (1983), Jean Bellemin-Noël explique de quelle manière le conte oriente l’inconscient des petits en mettant en scène des personnages vides à l’intérieur desquels ils peuvent se projeter entièrement. Ces personnages vivent à leur place les pulsions de vie et de mort qui les animent. Les enfants les aiment – et sont hantés par eux – parce qu’ils leur permettent de réaliser, sans danger, leurs fantasmes les plus violents.
Excessivement codifié, le conte se caractérise par sa nature prévisible et redondante. Entendues – ou visionnées – en boucle par les petits, les histoires disparaissent, et leurs intrigues elles-mêmes deviennent bientôt un canevas blanc sur lequel l’enfant peut peindre à sa guise, en ne choisissant que certaines images précises (celle où l’ogre égorge ses propres filles, celle où la princesse retire la peau d’âne qui masquait sa robe couleur de Temps : peu importe) qui deviennent les piliers de son univers fantasmatique. En dépit de sa violence intrinsèque, le conte se distingue par l’absence de questionnement de ses personnages, qui ne s’étonnent pas de leurs aventures, n’ont aucune intériorité et font bien peu de cas de la sauvagerie et de la cruauté auxquelles ils sont confrontés. Par sa simplicité, ce type de fiction s’adresse directement à l’inconscient; sa compréhension est instinctive, comme si avant même d’avoir entendu une seule histoire, nous les connaissions déjà toutes. Peut-être que le fantasme précède le conte : on peut facilement imaginer qu’au fil des récitations, la fiction s’est construite et transformée pour répondre aux besoins pulsionnels des enfants. Jean Bellemin-Noël qualifie les contes de « prêt-à-porter » du fantasme, parce qu’ils peuvent s’ajuster à l’inconscient de chacun[2]. Celui qui les entend les reçoit comme des histoires récitées expressément pour lui, alors qu’elles s’adressent, au fond, à l’ensemble d’une collectivité donnée.
Disney, en mettant des visages sur les coquilles vides des personnages merveilleux classiques et en purgeant leur histoire des excès de violence, transforme le message véhiculé par les textes ancestraux. L’exutoire qu’est le conte se transforme, tandis que les pulsions, elles, demeurent inchangées. Cela n’empêche pas pour autant les enfants de fantasmer. À titre d’exemple, un texte, que j’ai écrit un jour, pour un cours, et que j’ai modifié ensuite pour mon roman Les sangs :
Une histoire que je m’invente quand je suis enfant me revient en tête aujourd’hui. Je suis dans une forêt, poursuivie par des loups. Je fuis, ma jambe se coince entre des racines, je m’écorche la cheville, ma robe se déchire sur les épines des ronces. J’entends, tout près, les aboiements des loups, et je sens la chaleur de leur gueule grande ouverte sur leurs crocs. Je cours, je cours, je tombe parfois, mais je me relève. À travers les sapins, plus haut dans la montagne, je distingue une lueur jaune et je me dirige vers cette lumière. J’arrive aux portes d’un château immense, les grilles sont hautes comme trois hommes, elles s’ouvrent par magie et se referment sur la gueule des monstres qui grognent derrière moi. Quand je me retourne, ils ont disparu. J’avance, il fait noir et il neige, je ne ressens pas le froid. Par terre, une rose très rouge et lumineuse appelle ma main. Je m’approche et tire sur le bouton, plonge le nez dans la fleur pour en découvrir le parfum. Aussitôt, le sol se dérobe sous moi, je suis prisonnière d’un trou qui se remplit de sable, j’appelle à l’aide, personne ne m’entend. Je pense mourir asphyxiée et m’évanouis. Quand je me réveille, je ne peux pas bouger. Je suis enfermée dans un cube de cristal à travers lequel le monde me semble déformé. Je suis immobile, livrée aux regards. Le souvenir est précis. Ce n’est pas un cauchemar, c’est une histoire que je m’invente en étant bien réveillée. C’est une histoire que je choisis, que je veux et que j’aime. J’ai cinq ans, six ans, je m’endors grâce à elle et, pendant des mois, j’en crée des variations.
Si l’anecdote regorge de références disneyennes (La Belle et la bête, Aladin, Blanche Neige et les sept nains), il m’aura tout de même fallu le regard externe de mon éditeur pour le réaliser. Ce collage simple, mais perverti, des scènes les plus troubles des films de princesse, fait partie de moi comme un souvenir. Je me rappelle comme je me racontais souvent cette histoire, en dessinant, en jouant dans la neige, en marchant, en mangeant. J’y pensais sans obsession, mais sans me lasser, comme à d’autres moments je dressais la liste de mes desserts préférés ou des amies que j’inviterais à mon anniversaire. Je l’ai tant et si bien intégrée à mon imaginaire que je l’écrivais en la croyant mienne. L’intervention d’un lecteur qui n’est pas moi aura été nécessaire pour réaliser que ce premier fantasme rejoint peut-être celui de centaines d’autres personnes.
Bien que banal, l’exemple est révélateur : si les films de princesse produits par Disney ont changé le mode de transmission du conte, s’ils privent les enfants d’une identification consciente aux personnages, leur fonction principale, elle, est restée identique. Même dans sa forme cinématographique – la plus figée de toutes –, le conte est un catalyseur de pulsions universel.
Détisser le canevas
Revenons à cette fameuse Princesse, juchée sur ses sept matelas, qui habite le corridor de la maison familiale. Mon père, en plus de la peindre (épaules carrées, dos larges, trônant sur des matelas couverts d’étoiles, de bateaux, de cœurs et de motifs à losanges), prenait plaisir à transformer son histoire. Il disait, par exemple, qu’Il était une fois un prince qui voulait marier une princesse. Mais une vraie princesse.
« Il parcourait le monde à la recherche de la perle rare, croisait des dizaines de sultanes, des filles de Maharaja, des héritières d’empire, mais n’avait jamais la certitude de leur véritable royauté. Un soir d’orage, tandis qu’il s’apitoyait sur son célibat, on frappa de grands coups à la porte de son château. L’intendante s’empressa d’ouvrir et découvrit une jeune femme que les grands vents avaient fort bien décoiffée. L’inconnue déclara qu’elle marchait depuis un royaume lointain et s’était égarée.
Si son accoutrement permettait de douter de sa noblesse, on ne souhaita pas se faire d’ennemis à l’étranger, aussi fut-elle accueillie royalement. La quête de princesse occupait toutes les pensées du jeune héritier, et sitôt qu’il vit l’inconnue (une belle laitière, un peu perdue), il pensa qu’il avait trouvé sa femme. Elle semblait si douce, si élégante sous ses jupons trempés! Malheureusement, encore fallait-il confirmer ses origines royales. Pour cela, la reine avait un plan.
À l’heure du coucher, on installa sur un lit sept matelas et sept édredons, sous lesquels on glissa deux pois minuscules.
– Si c’est une vraie princesse, son sommeil sera dérangé par la dureté des pois, chuchota la reine à son fils.
On coucha la jeune femme tandis que le prince, dans ses appartements, tournicota dans son lit toute la nuit durant. »
C’est à ce moment que, coup de maître, mon père changeait tout. Il disait que la laitière, affamée par sa longue marche, flairait depuis sa chambre le parfum d’une soupe aux pois que le marmiton apprêtait aux cuisines. Au déjeuner, elle bâillait bruyamment et, quand on l’interrogeait sur sa fatigue, elle s’exclamait n’avoir pu dormir, parce qu’elle avait senti les pois toute la nuit. Le Prince, un peu dupe, mariait la pauvresse, persuadé qu’elle avait la peau fragile d’une princesse.
Évidemment, dans le conte original, les choses ne se passent pas ainsi. D’abord, la princesse en est une vraie. Ensuite, dans sa transcription littéraire, Andersen raconte :
Au matin, on lui demanda comment elle avait passé la nuit.
« Bien mal! répondit-elle; à peine si j’ai fermé les yeux de toute la nuit! Dieu sait ce qu’il y avait dans le lit; c’était quelque chose de dur qui m’a rendu la peau toute violette. Quel supplice! »
À cette réponse, on reconnut que c’était une véritable princesse, puisqu’elle avait senti un pois à travers vingt matelas et vingt édredons. Quelle femme, sinon une princesse, pouvait avoir la peau aussi délicate[3]?
J’ai toujours préféré la princesse gourmande de ma famille à cette poupée délicate et capricieuse. À l’époque, grâce à ses trucages narratifs, mon père a su réintégrer la soupe aux pois au menu familial tout en évitant d’encourager les élans douillets de ses filles. Aujourd’hui, ce conte déformé m’amène ailleurs, il est aux origines d’une démarche littéraire orientée sur le travail de réécriture et de transformation des textes qui forment ma mythologie personnelle. Car ce que nous dit réellement la version gastronomique de la Princesse au petit pois, ce n’est pas « mangez de la soupe », mais bien « le conte est un outil malléable dont on peut faire ce qu’on veut ».
Parce que le conte est un genre codifié qui met en scène une série de gestes et de personnages particulièrement stéréotypés, j’aime imaginer qu’il est constitué de plusieurs petites cases vides qu’il suffit de remplir selon ses propres préférences. Quels personnages? Quels gestes? C’est sans importance : tant que les motifs et les figures appartiennent au genre (princesse, dragon, chevalier, château, forêt de ronces, etc.), ils trouveront leur place dans les petits casiers. Structure à la fois contraignante et flexible, la trame narrative du conte peut facilement être modifiée, et ce, même si elle répond à une formule fixe[4]. En respectant à la fois les petites cases et les personnages et actions stéréotypés, l’auteur tissera une nouvelle histoire, plus ou moins originale selon son imagination, mais qui continuera d’être un conte. C’est plutôt lorsqu’il joue avec les conventions inhérentes au genre que l’écrivain s’éloigne du Il était une fois originel et approche le romanesque. De fait, lorsqu’il est envisagé comme un matériau brut que l’auteur peut manier à sa guise, le conte gagne en richesse, il devient un outil plutôt qu’une fin en soi. Ses origines orales et populaires témoignent d’emblée de sa flexibilité formelle qui, à son tour, laisse la porte ouverte aux altérations, au renouveau. Que le romancier s’empare de ce matériau brut, directement lié aux pulsions de son lecteur, n’a donc rien de surprenant.
Je suis, à l’évidence, loin d’être la seule qui se sert des contes de son enfance pour alimenter son travail d’écriture. L’idée n’a rien de nouveau : en 1979, Angela Carter publiait The Bloody Chamber and Other Stories[5], recueil de nouvelles où le lecteur retrouve Barbe-Bleue, le petit Chaperon rouge, la Belle et la Bête, Blanche-Neige, etc.; en 1985, Pierre Fleutiaux réintroduisait les mêmes figures, non sans les transformer drastiquement, dans ses Métamorphoses de la Reine. Désormais, on ne compte plus les auteurs qui réécrivent ou revisitent – la différence est grande – les contes merveilleux classiques. En moins d’un an, Barbe-Bleue seul a inspiré au moins trois romans en français : Barbe Bleue (Amélie Nothomb : septembre 2012), Les portes closes (Lori Saint-Martin : mars 2013), Les sangs (moi-même : août 2013); cela sans compter les adaptations théâtrales du mythe qui ont eu lieu la même année. Faits remarquables, les trois ouvrages ne se ressemblent pas du tout et si le 21e Nothomb s’avère une réécriture plutôt banale du texte original, aucun des textes québécois ne reprend la figure de Barbe-Bleue ou son histoire à proprement parler. Chez Lori Saint-Martin, ce sont les questions conjugales du tabou et de l’espace privé (« jardin secret ») qui sont explorées; dans Les sangs, ces éléments sont occultés, et l’on s’interroge davantage sur les meurtres conjugaux et la fascination des femmes pour la violence.
Une seule histoire initiale, donc, et trois romans distincts en tous points, en l’espace de quelques mois. On pourrait avancer que le phénomène s’explique, comme dans le cas de la Princesse au petit pois de mon père, par la neutralité générale du conte, par les immenses questions qu’il soulève et par l’absence de réponses, de prises, qu’il offre au lecteur :
Le conte pas plus que le rêve ne nous présente des événements qui font problème à leurs acteurs ou un personnage qui travaille à comprendre ce qui se passe : du coup, nous soupçonnons que tout l’ensemble est à interpréter, et que c’est à nous, au-dehors, à le faire. Mélange d’oracle et de devinette, cette sorte de récit devient le noyau d’un roman non écrit, celui que l’auditeur ou le lecteur fait advenir en traitant ce noyau sans opacité comme une intrigue à lui tout seul, une intrigue qui attend, qui a besoin d’être menée à son terme[6].
La neutralité – même très moralisatrice – de ce type de récit, son absence de quête identitaire et l’indifférence de ses personnages servent l’intention d’universalité du conte. Chacun peut y lire ce qu’il veut, interpréter l’histoire selon ses propres désirs, selon ses besoins du moment. Les auteurs contemporains y trouvent évidemment leur compte puisqu’ils peuvent faire dire à ces récits emblématiques connus de tous à peu près n’importe quoi.
Apologie de l’amoralité
Les écrivains qui utilisent le conte comme matériau brut ne privilégient pas nécessairement, dans leur travail d’écriture, la neutralité narrative et l’indifférence des personnages propres aux textes dont ils s’inspirent. D’ordre général, ils vont plutôt remanier les quêtes grandioses qui composent la trame narrative des récits originaux, réfléchir au destin fatidique des personnages traditionnels ou aborder l’un des enjeux soulevés par tel récit dont la morale est ambiguë. À mes yeux, cependant, le véritable intérêt romanesque du conte se trouve précisément dans la quête d’une forme de neutralité narrative qui se rapproche de celle à l’œuvre dans les textes qui les ont inspirés.
Par exemple, dans mon dernier roman, Les sangs, je cherche, en détournant la fonction des personnages de contes, à neutraliser le facteur « innocence » des héroïnes afin de rendre inopérant le facteur « mal » du méchant. Le but est de créer un récit où la question de la moralité s’avère ambiguë, voir absente. Comme dans les contes traditionnels, les protagonistes ne s’interrogent pas sur la validité de leurs actions : ils agissent, sans réfléchir. L’objectif n’était pas tant d’écrire une œuvre littéraire immorale, dans le sens de « contraire à la morale », que de rédiger un texte amoral caractérisé par l’absence de dénonciation du crime et de la violence du désir féminin.
Un homme qui tue ses femmes à la demande de celles-ci est-il un véritable meurtrier?
Pour soulever une réflexion, rien ne me semble plus efficace que de combiner la neutralité à l’œuvre dans le conte aux pulsions érotiques enfouies du lecteur, en prenant pour acquis qu’elles rejoindront celles de l’auteur, puisque leurs référents imaginaires se rejoignent. Cet exercice est facilité par la convocation de figures narratives (l’ogre, la princesse, le loup, la sorcière) et de lieux (le château, la forêt enchantée, le donjon) que le lecteur connaît et associe inconsciemment, depuis l’enfance, à l’action de fantasmer.
Qu’il s’agisse de dépeindre la réalité conjugale d’un couple âgé (Les portes closes), de décrier la survictimisation des femmes, ou, plus simplement, de faire manger de la soupe à ses enfants, la convocation de figures propres aux contes doit faciliter la transmission du message que souhaite véhiculer l’auteur. Porte d’accès direct à l’imaginaire collectif et, par extension, à celui du lecteur, ce type de récit permet de convoquer très rapidement des images, des souvenirs ou des pulsions enfouies, sans qu’il soit nécessaire de les expliquer en détail ou de les mettre en contexte. La possibilité de convoquer cet imaginaire grâce à quelques figures emblématiques (sorcière, loup, fée, etc.) facilite, par extension, la déconstruction des stéréotypes et le contournement des attentes du lecteur, pour l’amener ailleurs, là où tous les repères ont disparu. En transformant le pois en soupe, que reste-t-il de la Princesse? Une gourmande qui, par ruse ou par chance, devient reine d’un royaume où, on le devine, les lits sont toujours plus hauts que les enfants.
[heading style= »subheader »]Bibliographie[/heading]
ANDERSEN, H.C., Contes d’Andersen traduits du danois par D. Soldi, avec une notice biographique par X. Marmier (2e édition), Paris, Hachette, 1862. (Texte intégral disponible sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566537p.)
BELLEMIN-NOËL, Jean, Les contes et leurs fantasmes, Paris, Presses universitaires de France (PUF), 1983.
BETTELHEIM, Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Hachette, 1998.
CARTER, Angela, La Compagnie des loups, Paris, Éditions du Seuil, 1985.
NOTHOMB, Amélie, Barbe bleue, Paris, Albin Michel, 2012.
PROPP, Vladimir, Morphologie du conte, Paris, Éditions du Seuil (Points), 1970.
SAINT-MARTIN, Laurie, Les portes closes, Montréal, Boréal, 2013.
WILHEMY, Audrée, Les sangs, Montréal, Leméac, 2013.
[heading style= »subheader »]Notes[/heading]
[1] L’expression est de Jean Bellemin-Noël, qui l’emploie dans l’avant-propos de son ouvrage Les contes et leurs fantasmes (1983 : 9), où il dit des contes qu’« ils brodent sur des fantasmes en procurant des fantasmes avec lesquels broder ».
[2] « Disons, pour faire image, que le conte est le prêt-à-porter du fantasme : d’une part, mensurations et modèles ont été sélectionnés à partir de certains types et de certaines classes de personnes que l’on rencontre couramment; d’autre part, le même vêtement peut être endossé par des gens différents, il “prête” et s’ajuste peu à peu. La confection est moins seyante que le sur mesure, mais elle est immédiatement disponible et moins dispendieuse ». Idem. p.10.
[3] ANDERSEN, H.C. (1862). Contes d’Andersen traduits du danois par D. Soldi, avec une notice biographique par X. Marmier (2e édition). Paris : Hachette. p.65-66. (Texte intégral disponible sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566537p.)
[4] Voir à ce sujet : PROPP, V. (1970). Morphologie du conte. Paris : Éditions du Seuil (Points).
[5] V.F : La Compagnie des loups, Seuil, 1985.
[6] Jean Bellemin-Noël, op.cit., p.17.